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Anthony G. Chila (cf dessin) a beaucoup travaillé cette notion de vision globale du corps: il a écrit un important « traité d’ostéopathie » (éd. de Boeck) dont de nouvelle éditions ne cessent de paraître, puisqu’il fait office de référence pour développer un regard ostéopathique et appréhender le patient dans son ensemble

osteoparis

Anthony G. Chila (dessin Nicolas Blaise)

Sa vision peut se résumer de cette façon (cf schéma): le corps que l’ostéopathe vient appréhender avec ses mains est un ensemble pouvant se diviser en 5 grandes fonctions qui peuvent être altérées sous l’influence de facteurs environnements stressant (traumatismes, infections, mauvaise alimentation & facteurs sociaux). Ces 5 fonctions sont:

La fonction mécanique: « la structure gouverne la fonction »: elle concerne la posture et le mouvement. Si une articulation présente un défaut de mobilité, les articulations environnantes font compenser ce défaut de mouvement. L’étude de cette fonction est la biomécanique.

La fonction neurologique (ou plus exactement neuro-sensorielle): le corps dans son ensemble est soumis au contrôle de grands capteurs qui lui donnent des informations pour se positionner (les yeux, la mâchoire, les pieds,… et même le ventre). L’étude théorique de cette fonction est la neuroscience, et la posturologie la met en pratique.

La fonction fluidique-circulatoire: « la règle de l’artère »: si la vascularisation se fait correctement, toutes les structures du corps fonctionneront correctement (sauf s’il existe une lésion organique). L’enjeu de cette fonction est un bon drainage lymphatique.

–  La fonction métabolique: …qui vient compléter la phrase précédente: si la vascularisation se fait correctement, et si l’alimentation a fourni des nutriments suffisants, toutes les structures du corps fonctionneront correctement (sauf s’il existe une lésion organique). Nous (notre corps) sommes ce que nous mangeons: L’étude de cette fonction est la nutrition et la micronutrition pour comprendre les apports alimentaires nécessaires à une fonction optimale de notre corps.

La fonction bio-psycho-sociale: très importante et pourtant souvent délaissée, elle concerne l’interprétation que notre cerveau fera des informations qui lui sont données en fonction du contexte du patient. L’étude de cette fonction est au carrefour de la neuroscience et de la psychologie.


Philosophie de l’ostéopathie par Anthony Chila:

“Le corps humain ne fonctionne pas en unités séparées, mais comme un tout harmonieux.” A.T. Still


Avec cette vision du corps comme une unité, nous pouvons comprendre que chaque facteur environnemental impactera ces 5 fonctions dans leur ensemble, et que tout thérapeute holistique doit intégrer ces 5 domaines de compétences pour appréhender correctement la plainte ressentie par son patient.

En d’autres mots, si vous vous faîtes une entorse de cheville, il en découlera de potentielles tendinites par adaptation par:

de potentiels blocages mécaniques suite à ce mouvement contraint (fibrose, défaut de mobilité articulaire,…) ce qui peut entraîner des adaptation biomécaniques ->  possibles tendinites sur des sursollicitations,… Votre ostéopathe va redonner de la mobilité à ces articulations (possiblement en lien avec d’autres corps de métier: podologue,…).

de potentielles séquelles neurosensorielles (les ligaments et tendons sont pleins de capteurs donnant des informations au corps sur votre position: c’est la « proprioception »): suite au traumatisme, la qualité de ces informations peut être moins bonne ce qui entraîne de l’instabilité et donc de la vibration à laquelle les autres tendons et muscles sont très sensibles -> possibles tendinites. Votre ostéopathe va rééduquer la proprioception (possiblement en lien avec d’autres corps de métier: kinésithérapie,…).

un œdème plus ou moins important: suite au traumatisme, une inflammation locale est activée pour entamer un processus de cicatrisation des structures lésées. Si cette inflammation n’est pas bien gérée (trop importante, non résolue,…) elle peut s’étendre par adaptation aux structures voisines -> possibles tendinites. Votre ostéopathe va optimiser le drainage (lever les freins aux voies lymphatiques & veineuses: possiblement en lien avec d’autres corps de métier: kinésithérapie,…).

un état inflammatoire plus ou moins chronique, qui est directement corrélé à l’alimentation qui peut être +/- inflammatoire, +/- acidifiante, +/- oxydante,… -> Possibles tendinites de topographies variées. Votre ostéopathe va vous donner des conseils notamment alimentaires pour optimiser la récupération  (possiblement en lien avec d’autres corps de métier: micro-nutritionnistes,…)

un handicap plus ou moins important sur votre quotidien: si vous vivez cette entorse comme un frein à votre épanouissement (carrière professionnelle, impact sur le quotidien,…), votre cerveau interprétera avec plus d’intensité cette information douloureuse, et vous risquez par exemple de sur-protéger la zone avec des positions antalgiques exagérées,… ->possibles tendinites. Votre ostéopathe aura un discours rationnel et rassurant sur les délais de rétablissement, et la récupération possiblement complète de votre fonction de la marche  (possiblement en lien avec d’autres corps de métier: psychothérapie, sophrologie,…)

Ceci est un simple exemple,non exhaustif, de pistes de réflexions amenées par un regard global sur le corps.



Voici une vision qui me semble intéressante concernant « le corps touché en ostéopathie comme exemple de médecine alternative » par le Père Jean-Marie GUEULLETTE (o.p., théologien, Univ. Cathol. de Lyon), intervenant lors de la séance du 12 juin 2019 au département d’éthique biomédicale (pôle de recherche du collège des Bernardins) autour de la réflexion : « Que vaut le corps humain ? Médecine et valeur du corps ».

« L’ostéopathie questionne avant tout sur le corps touché. Trois axes de réflexion peuvent alors en découler. Le premier s’interroge sur les corps qui se touchent, celui du médecin et celui du patient. Le second se concentre sur l’expression du toucher : par quels mots exprime-t-on ce que l’on éprouve en touchant ? Pour conclure avec une plongée dans l’anthropologie et la philosophie : que se passe-t-il quand on touche un corps humain ?

« Chronologiquement, le premier corps touché est celui de l’ostéopathe ou plus exactement du futur ostéopathe. Car au cours de la formation et dès les premiers jours, l’apprentissage passe par la pratique sur soi. Ainsi, avant de toucher les autres, le thérapeute est touché lui-même. Il aura donc vécu dans son propre corps ce qu’il sera amené à faire vivre à son patient. W. Garner Sutherland (1873-1954) un auteur majeur en ostéopathie, l’exprime ainsi « Je dois être moi-même cobaye, confie-t-il à son épouse, c’est le seul moyen pour moi de savoir. Si les expériences étaient faites sur d’autres, ils éprouveraient des sensations, des sentiments, auraient des réactions. Ils pourraient les interpréter pour moi et je pourrais obtenir de l’information, oui, mais je ne connaîtrais pas vraiment* . » Cet aspect des études explique les différences de relation thérapeutique entre le patient et l’ostéopathe d’une part, le patient et le médecin d’autre part. Il faut également souligner que l’enseignement de l’anatomie occupe une place prépondérante durant les cinq années d’études et que cette connaissance n’est pas seulement théorique mais également « ressentie » grâce au toucher sur soi et sur ses confrères étudiants.

« Le second corps touché est donc celui de l’autre, qu’il soit le confrère lors des études ou le patient dans l’intimité du cabinet. Il va s’établir un dialogue entre les mains de l’ostéopathe et le corps du patient. Ce dialogue mêle à la fois le diagnostic et la thérapeutique car tout corps touché réagi et n’est donc plus le même qu’avant. Cette modification du corps dès qu’il est touché complique les protocoles de recherche car rien n’est reproductible. En comparaison, l’examen clinique du médecin est lui à visée purement diagnostique. Le médecin cherche des signes qui permettent de nommer la pathologie.

« L’examen clinique est de plus en plus succinct, car avec l’imagerie médicale et les examens biologiques, le médecin possède des aides au diagnostic qui lui permettent de travailler, s’il le souhaite, à distance du malade. En fait, le corps et le discours du patient sont progressivement mis à distance puisque même lors d’interventions chirurgicales, le médecin ne touche plus le corps mais dirige un robot. La médecine tend donc à se retirer du corps et cette distanciation, cette absence de relation charnelle explique peut-être l’attrait représenté par l’ostéopathie. Un patient qui souffre dans son corps peut éprouver le besoin d’être rejoint dans son corps par le thérapeute.

« Si le toucher guérit, il paraît cependant important de savoir mettre des mots sur ce qui se passe. Et cela est difficile car le langage du toucher est peu étoffé. Les ostéopathes parlent donc le plus souvent par métaphores, ce que faisaient également les médecins lorsqu’ils avaient encore une approche principalement clinique. Mais la base de ces métaphores ostéopathiques est souvent le vocabulaire anatomique et cela engendre une incompréhension profonde entre l’ostéopathe et le médecin. En fait, les ostéopathes utilisent ce langage métaphorique pour tenter dire ce qu’ils ont dans les mains, ce qu’ils ressentent. Ils le situent par l’anatomie, mais leur perception ne se limite pas à l’anatomie.

« Ce toucher ostéopathique pour lequel « seuls les tissus savent » cherche à détecter les déséquilibres, les blocages vécus par le corps du patient. On pourrait dire que l’ostéopathe cherche à déchiffrer le « dialogue tissulaire » qui s’instaure par la médication de ses doigts. Mais alors, touche-t-il un corps ou une personne ? Ce toucher permet de connaître certains aspects de l’histoire du patient, il va bien au-delà de la chair. N’y a-t-il pas un risque de prise de pouvoir par le thérapeute ? Atteint-on l’âme lorsque l’on effectue ce toucher ostéopathique ? Le toucher donne-t-il accès à l’Invisible ? Il est vrai qu’en entrant en relation avec le corps, on touche un autre niveau, immatériel celui-là. Rappelons que saint Thomas écrivait « L’âme est présente dans toutes les parties du corps** ». Finalement la grande question éthique serait : Que fait-on de la connaissance que l’on a de l’autre ? Il s’agit de la philosophie de la connaissance à travers la perception.

« Pour conclure, soulignons que l’ostéopathie est avant tout un corps à corps entre le patient et l’ostéopathe et qu’en cela elle apparaît complémentaire à la médecine. Elle n’est pas une technique mais une autre façon de penser, une autre médecine*** qui considère que le patient est le premier acteur de sa guérison et qui, par conséquent, l’aide à s’auto-guérir. Les méthodes de la recherche clinique, méthodes cartésiennes, ne peuvent s’appliquer à cette autre manière de penser le corps souffrant et de l’approcher de manière systémique : il faut trouver d’autres outils pour évaluer l’efficacité de l’ostéopathie. »

* A. SUTHERLAND, « Avec des doigts qui pensent » dans W.G. SUTHERLAND, Textes fondateurs de l’ostéopathie dans le champ crânien, trad. ; H. Louwette, Vannes, Sully, 2002, 61. 

** S. Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia, q. 76, a. 8.

*** J.M. Gueullette, L’ostéopathie, une autre médecine, Presses Universitaires de Rennes, 2014

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